Variations mycologiques

cepe-de-bordeaux.jpgBaladant et rêvassant mardi dernier au marché, mon attention fut attirée par quelques merveilleux cèpes de Bordeaux et néammoins de Lozère: 29 € le kg, bigre ! ils n’y vont pas de main morte à La Tour! Vu leur prix, ma frustration n’avait d’égale que mon envie. Comment tourner la difficulté et déguster quand même ces campinioli, « petits produits de la campagne », comme les appelaient les Romains qui en étaient déjà friands ? Après avoir rissolé sur place un bon quart d’heure (on se croirait en été), je tenais peut-être le fil ténu du début d’une idée : je décidais de réjouir mes neurones au lieu de mes papilles. Retour à la maison, Wikipédia, et voici devant mes yeux éblouis la liste des noms vernaculaires des champignons de France (j’ai aussi trouvé les champignons finlandais, mais je t’en fais grâce…). Que de plaisir ! Mes papilles intellectuelles en étaient tout émoustillées. Chacun de ces noms ouvrait la porte d’un univers romanesque. Ne pouvant parler de tous, j’en ai sélectionné quelques-uns, parmi les plus savoureux, quoique rarement comestibles.

Pour commencer, mon préféré depuis bien longtemps : l’Inocybe de Patouillard. Combien j’ai pu rêver sur l’Inocybe de Patouillard… Et d’abord, qui était ce Patouillard ? Sans doute un être malpropre se vautrant dans la boue avec délectation et suffisamment vicieux pour inoculer je ne sais quel virus mortifère à l’innocent chercheur de champignons qui a le malheur de croiser sa route. Si un soir dans les sous-bois humides et touffus tu croises un personnage maigre, le teint cireux, vêtu d’un imperméable maculé de boue et serrant contre lui une vieille sacoche de cuir usé, passe vite ton chemin: Patouillard cherche à inocyber sa prochaine victime !

Tout au contraire, les cortinaires sont une famille très « comme il faut », rien que de la noblesse d’humus, du champignon de haute couche : cortinaire élégant, élevé, cortinaire resplendissant, doré, rouge cinabre, cortinaires pailletés et pommadés (donnant dans le show biz), cortinaire de Berkeley (l’intellectuel de la famille), cortinaire triomphant, que du beau linge! C’est à peine si quelques vieux oncles ronchons et ayant abusé des liqueurs fortes sont blanc violacé, bleuissant, violets et sanguins, voire carrément sales et en chaussettes. Quelques amanites se haussent du col et fréquentent le grand monde : amanite à pierreries ou amanite des Césars. Mais les moutons noirs de la famille ruinent leurs efforts : amanite à verrues, amanite tue-mouches, et amanite panthère ne sont guère fréquentables, et c’est à peine si, à mots couverts, on ose évoquer qui-vous-savez…la redoutable phalloïde.

Hélas, les abus en tout genre conduisent inévitablement à des maux cruels: mucus crouté, échaudé, fistuline hépatique, marasme, etc. Marasme, j’ai dit marasme ? Le marasme des Oréades serait-il un champignons profondément dépressif ? Se méfier des homonymes ! Les Oréades, délicates nymphes des montagnes, louées par Virgile, dansaient en rond et ainsi pousse ce délicieux champignon sur la trace de leurs pieds légers…

A force de mauvaises fréquentations, j’ai découvert un champignon particulièrement long en bouche. Je veux parler du géastre à ostiole fimbriée. Cela vous laisse sans voix. Qu’est-ce qu’un géastre ? Et une ostiole fimbriée ? Le géastre serait-il un extra-terrestre tombé des étoiles ? Un pilastre géant lâchant sous le pied du promeneur malchanceux des nuées d’ostioles fimbriées, redoutables succubes dont les morsures laissent notre promeneur dans un état de fine ébriété ? Avec un nom aussi ronflant on ne peut qu’imaginer des choses hors norme ! Hélas, le géastre à ostiole fimbriée n’est qu’un tout petit champignon de la famille des vesses de loup dont la seule singularité est de s’ouvrir en étoile… Grandeur et décadence…

A propos de grandeur : quel est le nom le plus long pour un champignon ? Ceratiomyxomycète. Ces champignons particuliers furent d’abord classés dans le règne animal, puis végétal et enfin dans le règne fongique. Leurs spores produisent des zoïdes, animaux élémentaires qui composent les organismes coloniaux. Ce sont les seuls champignons capables de se déplacer sur leurs hôtes… mais sur de courtes distances : quelques cm par heure.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : la longue liste des champignons sulfureux, diaboliques ou érotiques. Ecoutez-moi ça : beurre noir de la sorcière et cœur-de-sorcière, Arcyrie dénudée et Psathyrelle semi-vêtue, Oreille de Judas, Bolet Satan, Bulgarie noire, Clitocybe illusoire, Coprin narcotique, Cordyceps langue de serpent, Crapaudine puante, Doigts du Diable, Lépiste sordide, Russules nauséeuses et malodorantes, presque fétides, Trompettes des Morts, Vesses de loup, j’en passe et des meilleurs ! Heureusement, pour sauver les âmes des mycologues plus ou moins avertis, la nonnette voilée, discrète et pudique comme il se doit, se cache aux pieds des pins. Il faut bien une si sainte personne pour racheter la réputation d’une telle famille. Cette brave nonnette a bien du mal à tenir en respect le plus sulfureux des champignons, celui qui a dû affoler des générations de campagnardes :

chamignon-satyre.jpgJ’invite ici le Satyre Puant, le Phallus impudicus. Celui-là, on le reconnaît au premier coup d’oeil! La force de la Nature incarnée ! à l’automne des tapis de phallus percent les feuilles mortes et le soir dans les chaumières : en avant pour une nouvelle génération ! Les dieux des forêt évincés depuis tant de siècles se vengent : les satyres rigolent exposant à tous les regards tant d’impudiques diableries et de désirs lubriques. Une des filles de Darwin, paraît-il, détestait tant les champignons qu'elle revêtait un uniforme spécial pour débusquer nos malheureux Phallus impudicus et les incinérer dans le foyer de son salon, portes closes, afin, disait-elle, « de ménager la vertu des servantes», qui ne lui en demandaient pas tant.

Voici ce que m’ont inspiré ces quelques cèpes du marché, une promenade dans la langue savoureuse des champignons, une divagation mycologique et si je cuisine volontiers agarics, cèpes, girolles et pieds bleus, promis juré : je ne croquerai pas l’amanite tue-mouche pour voir le Pays des Merveilles.

Quant au vrai Patouillard, j’ai appris qu’il s’appelait Narcisse Théophile Patouillard, qu’il naquit en 1854 et rendit de très éminents services à la science mycologique ainsi qu’aux amateurs de champignons : il fit partie des 15 pharmaciens créateurs de la Société Mycologique de France, ce qui lui valut d’avoir pour l’éternité son nom lié à l’inocybe Patouillardii. Mais nul n’étant prophète en son pays, ce furent les mycologues étrangers qui lui rendirent le plus bel hommage, avec plus de 50 champignons à son nom à travers le monde.

C. Metelski

 

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