Une peinture de Godard - 5

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Revenons-en à l’homme, à l’artiste engagé avec cette lettre à Malraux :

 

En 1966, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, obtient du secrétaire d'État à l'Information Yvon Bourges l'interdiction du film La Religieuse de Jacques Rivette d'après Diderot. Jean-Luc Godard écrit à Malraux la lettre suivante :

 

« Votre patron avait raison. Tout se passe à un niveau vulgaire et subalterne… Heureusement, pour nous, puisque nous sommes des intellectuels, vous, Diderot et moi, le dialogue peut s'engager à un échelon supérieur.

Étant cinéaste comme d'autres sont juifs ou noirs, je commençais à en avoir marre d'aller chaque fois vous voir et de vous demander d'intercéder auprès de vos amis Roger Frey et Georges Pompidou pour obtenir la grâce d'un film condamné à mort par la censure, cette gestapo de l'esprit.

Mais Dieu du Ciel, je ne pensais vraiment pas devoir le faire pour votre frère, Diderot, un journaliste et un écrivain comme vous, et sa Religieuse, ma sœur.

Aveugle que j'étais ! J'aurais dû me souvenir de la lettre pour laquelle Denis avait été mis à la Bastille… Ce que j'avais pris chez vous pour du courage ou de l'intelligence lorsque vous avez sauvé ma Femme mariée de la hache de Peyrefitte, je comprends enfin ce que c'était, maintenant que vous acceptez d'un cœur léger l'interdiction d'une œuvre où vous aviez pourtant appris le sens exact de ces deux notions inséparables : la générosité et la résistance. Je comprends enfin que c'était tout simplement de la lâcheté.

Si ce n'était prodigieusement sinistre, ce serait prodigieusement beau et émouvant de voir un ministre UNR en 1966 avoir peur d'un esprit encyclopédique de 1789…

Rien d'étonnant à ce que vous ne reconnaissiez plus ma voix quand je vous parle, à propos de l'interdiction de Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot, d'assassinat. Non. Rien d'étonnant dans cette lâcheté profonde. Vous faites l'autruche avec vos mémoires intérieures. Comment donc pourriez-vous m'entendre, André Malraux, moi qui vous téléphone de l'extérieur, d'un pays lointain, la France libre ?"

 

Un post-scriptum précisait : « Lu et approuvé par François Truffaut, obligé de tourner à Londres, loin de Paris, Fahrenheit 451, température à laquelle brûlent les livres. »

 

On a dit de Godard qu’il était un irréductible solitaire. C’est en tout cas une personnalité controversée :

 

Antoine de Baecque est historien et critique de cinéma il a reconstitué l’enfance et la jeunesse méconnues du cinéaste. Il dit :

« Si tout le cinéma de Godard est du piratage, Godard est un voleur ! Issu d’une famille de banquiers et de médecins protestants, le petit Jean-Luc grandit dans le confort. Et pourtant, cleptomane, il est banni de la famille après avoir volé des livres précieux. Il pique dans la caisse des jeunes Cahiers du Cinéma, puis celle de la Télévision suisse, fait quelques nuits de prison et un séjour en hôpital psychiatrique pour éviter le service militaire….
Il dit plus loin :

L’astronomie a eu Copernic, la science Darwin et le cinéma. Sans lui, on en serait encore à filmer Au théâtre ce soir. »

 

Mais qui est Jean-Luc Godard ? L’auteur de 140 films de tout format sur tout support. Un inventeur de formes. Un provocateur. Un moraliste. Un dialecticien. Un clown métaphysique. Un agitateur. Une star. Une ombre. Un sphinx. Un «sujet biographique redoutable», selon Antoine de Baecque.

 

C’est un voleur sans guillemets, il ne cite pas ses sources, à part quelquefois les couvertures des livres. Cela peut aller loin ; pour écrire le scénario de Nouvelle Vague, il a chargé son assistant de réunir quinze grands livres du XXe siècle ; avec des ciseaux, il coupe dedans, écrivant ainsi les dialogues…

Constitutif de l’œuvre, ce vol devient l’œuvre elle-même. Il théorise une pratique du piratage. L’artiste a le devoir de donner son œuvre au pot commun, dit-il !

Il revendique cette conception de la culture comme bien commun, contraire à celle de la plupart des auteurs et des pouvoirs publics, de la loi Hadopi.

 

François Truffaut observait que dans ses douze premiers films, Godard ne fait jamais allusion au passé.

 

Né entre deux pays, entre deux guerres, Godard est le trait d’union entre la littérature classique et le cinéma d’avant-garde, entre John Lennon et Mauriac, entre Chantal Goya et Samuel Fuller... «Je suis un enfant de la décolonisation. Je n’ai plus aucun rapport avec mes aînés qui sont les enfants de la Libération, ni avec mes cadets qui sont les enfants de Marx et de Coca-Cola». Charmeur et cruel, sinueux, il est insaisissable.

 

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