Une peinture de Godard - 2

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Une peinture de Godard - 1

 

C'est à Propos de Pierrot le Fou qu'Aragon rend hommage à Godard en 1966 :

 

« Qu'est-ce que l'art ? Je suis aux prises de cette interrogation depuis que j'ai vu le Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, où le Sphinx Belmondo pose à un Producteur américain la question : Qu'est-ce que le cinéma ?

Puis-je commencer tout ceci par une assertion, comme un pilotis solide au milieu des marais : Le cinéma, pour moi, cela a été d'abord Charlot, puis Renoir, Buñuel, et c'est aujourd'hui Godard.

 

La même année sort Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution

avec : Eddie Constantine et Anna Karina.

 

Alphaville est la capitale d’une planète située sur une lointaine galaxie. Lemmy Caution, le célèbre agent secret, vient faire un reportage sur le chef de l’état, un robot dirigeant Alpha 60.

C'est une allusion à l'expansion de Paris.

Il évoque aussi la destruction en masse d’individus par le spectacle, le divertissement permanent qui arrache l’individu à la poésie, à l'art, à la philosophie. C'est la société médiatique-consumériste qui apparaît dans les années 60 avec le développement rapide de la télévision.

À la fin de l'année 1965, sur fond de campagne pour l'Élection présidentielle française,  Il tourne Masculin, féminin avec Jean-Pierre Léaud, Chantal Goya, Marlène Jobert et Brigitte Bardot qui, par contrat, lui devait encore une journée de tournage.

À peu près au même moment, Godard et Anna Karina divorcent.

En 1967, il épouse l'actrice et future romancière Anne Wiazemsky, petite-fille de François Mauriac, qu'il fait tourner dans La Chinoise, Sympathy for the Devil, Le Vent d'est et Le Gai Savoir.

 

Godard est partout, dans tous les magazines, à la une de Paris Match, au festival d’Avignon. C’est la star culturelle de l’année. Il en est meurtri jusqu’à la nausée ; il ne supporte plus d’être devenu cette tête de gondole du supermarché de la culture. Il y a alors une rupture violente.

Il prône alors un cinéma idéaliste qui permettrait au prolétariat d’obtenir les moyens de production et de diffusion.

 

Son cinéma devient un moyen de lutter contre le système, avec La Chinoise (prémonitoire car réalisé en 1967) et Week-end.

La Chinoise : Dans ce récit prémonitoire des événements de mai 1968, JL Godard décrit une bande d'étudiants, qui, bien installés dans un appartement confortable, discute des mérites de la pensée de Mao-Tse-Dong et de la meilleure manière de faire triompher ces idées en France.

Jean-Luc Godard est un artiste militant. Sa critique de la société capitaliste contemporaine, dans Week-end notamment, est extrêmement virulente. Dans ce film, la soif de possession de la bourgeoisie débouche sur des situations véritablement apocalyptiques : agressivité sans borne, lutte de tous contre tous, accumulation de destruction et d'accidents meurtriers.

 

En 1968, il est de ceux qui importent la « Révolution » au Festival de Cannes avec Truffaut, Chabrol, Malle… Il empêche le rideau de la grande salle du festival de Cannes de s'ouvrir, et manifeste pour la reconnaissance par le milieu du cinéma du mouvement étudiant.

 

Il participe à l'Atelier des Beaux-arts en mai 68 et tourne des films-tracts avec la complicité de Gérard Fromanger .

Fromanger est un des fondateurs de l'Atelier des Beaux-arts en mai 68, qui produisait des milliers d'affiches. Quelques mois après les événements de mai, l'artiste installe place Blanche à Paris, puis place Alésia, ses ovnis, demi sphères transparentes et colorées qui intriguent inévitablement le passant. Celui-ci se reflète à l'intérieur et à l'extérieur des Souffles qui lui renvoient son image intégrée à la ville, agissant ainsi comme des révélateurs de l'environnement urbain, miroir transparent d'un monde en plein bouleversement. Son comparse, Jean-Luc Godard, filme les réactions des Parisiens. Tout deux subiront l'incompréhension policière et les Souffles seront détruits la nuit même.

 

La décennie des années 70 commence.

Considérant que le cinéma est un support qui sert principalement un certain public par le biais d’une esthétique bourgeoise, le groupe dans lequel se fond volontairement le cinéaste est un échec. Il sombre lentement dans l’oubli.

A la suite d’un accident de la route, il part alors à l'étranger (New York, Canada, Cuba, Italie, Prague) où il commence des films qu'il ne terminera pas ou qu'il refusera de voir diffuser.

 

A partir de 1973, Réfléchissant sur cet échec, Godard revient vers un cinéma plus traditionnel et s'intéresse à la communication et à la technologie. La vidéo va lui permettre de parcourir seul toutes les étapes de la chaîne création-production, et sera pour lui le medium par excellence.

 

Il quitte Paris et s'installe à Grenoble où avec l’aide de celle qui deviendra sa 3ème femme, Anne-Marie Mielville il crée la société Sonimage, société de production audiovisuelle mêlant cinéma et vidéo.

Il s'installe ensuite en Suisse, à Rolle. Il produit quelques séries de courts métrages, documents pour la télévision, il réalise également ce qui reste son film documentaire le plus célèbre de cette période, Numéro deux.

 

1979, Godard revient au cinéma. Cette nouvelle fait l’effet d’une bombe, d’autant que le film met en scène Jacques Dutronc, Isabelle Huppert et Nathalie Baye. Devenu instantanément le film le plus attendu de l’année, Sauve qui peut (la vie) divise. Godard a changé, et a assimilé toutes les expériences réalisées sur les tournages précédents. Ce film se présente ainsi autant comme une conclusion expérimentale que comme un nouveau départ pour Godard cinéaste, une façon d’ouvrir en beauté ce qui reste sa plus belle décennie, celle des années 80.



 Durant ces années, il revient à un cinéma plus grand public qui attire des acteurs de renom. Il se retrouve sélectionné au festival de Cannes trois fois : Sauve qui peut la vie en 1980, Passion en 1982, avec Isabelle Huppert, Hanna Schygulla et Michel Piccoli, j’y reviendrai, et Détective en 1985 avec Johnny Hallyday.

Mais ses films continuent à faire scandale : Le geste iconoclaste vise à entériner physiquement la séparation entre le profane et le sacré. C'est ce seuil que franchit Jean-Luc Godard avec Je vous salue Marie en 1985, transposition du récit de la Nativité dans la société contemporaine.

 

L’idée de confrontation des grands mythes au monde moderne irradie les films de cette décennie :

Avec Prénom Carmen le mythe de Carmen incarne l’image de la femme émancipée.

Soigne ta droite (1987) interroge la création. Ce film composite réunit les Rita Mitsouko, Jane Birkin, Pauline Laffont, Jacques Villeret, Michel Galabru et Jean-Luc Godard lui-même dans le rôle du Prince, « l’idiot ».

 

Je vous salue, Marie croise les lumières du mythe de l’incarnation et de la psychanalyse à partir des écrits de Françoise Dolto (L’Évangile au risque de la psychanalyse, 1980).

Avec Myriem Roussel dans le rôle de Marie, et la toute jeune Juliette Binoche, Godard transpose le mythe de la Nativité dans le monde moderne. Joseph est chauffeur de taxi et apprend que sa fiancée Marie est enceinte. Il fait un parallèle entre le mystère de la conception d'un enfant et celui de la création par l'artiste d'un tableau.

 

Ce film pourtant mesuré et pudique, soutenu par de belles musiques de JS Bach et de Anton Dvoràk, mais aussi de John Coltrane, provoqua à sa sortie un scandale parfaitement injustifié. Relayé même par le pape de l’époque ! Le film sera censuré en France et à l'étranger. 

 

Il créé encore une fois l’événement du festival de Cannes 87 en présentant un film qui n’a que peu de rapport avec la commande du producteur Menahem Golan (Over the top): King Lear, avec Woody Allen et Julie Delpy, pour lequel il échappe de peu au procès que veut lui intenter la maison de production de la Cannon Group.

Au lendemain de l’explosion atomique du réacteur de Tchernobyl, un jeune cinéaste, arrière petit-fils de William Shakespeare part sur les lieux du drame à la recherche de ce qui reste de l’art.

Shakespeare n’est qu’un prétexte, on l’aura compris, représentatif de la carrière de Jean-Luc Godard, King Lear, cette adaptation de la pièce de Shakespeare, devient un film sur le langage, sa recherche et sa représentation. Ce qui est sans conteste un comble pour un film resté invisible - suite à la banqueroute de ses producteurs…

 

C’est en 1989 qu’il commence ce qui sera sa plus grande œuvre, sa recherche du temps perdu, ses Histoire(s) du cinéma. Chaque épisode est un mini-événement, racontant les relations de l’histoire du cinéma avec l’Histoire, celle des hommes et des peuples. Une œuvre gigantesque, incroyable de beauté et de finesse. J’y reviendrai !

 

Dans les années 90, Godard fait un retour à l'expérimentation.

Sorti en 1993, Hélas pour moi avec Gérard Depardieu

A travers un texte de Giacomo Leopardi (1798-1837) ce poète du pessimisme , Godard nous livre encore une réflexion sur l'amour, le divin et la création.

 

Extraits: " Notre époque est à la recherche d'une question perdue, comme fatiguée par toutes les bonnes réponses "

 

Extrait de texte de Giacomo Leopardi: "On n'en finirait pas de dresser la liste des illusions et des absurdités qui sont tenues pour vraies par les hommes les plus sensés, chaque fois que l'esprit ne peut venir à bout d'une contradiction qui le tourmente."

 

Abordons les années 2000.

 

Notre Musique en 2004, avec Sarah Adler et Rony Kramer  retient l'attention par son coté à la fois plus classique et plus militant. Godard renoue avec les essais pédagogico-politique : comment comprendre le monde d'aujourd'hui avec les moyens du cinéma il apporte une réponse modeste : savoir regarder un contrechamp.

 

Mais depuis vingt ans, et malgré l’impact des films des années 80, le cinéma de Godard a changé, s’est déplacé. Bien que Nouvelle vague, Hélas pour moi et Eloge de l’amour soient des chefs-d’œuvre, ce n’est plus sur le grand écran que Godard fait son cinéma, mais bien sur la petite lucarne. Devenu une figure exemplaire du PAF, reconnu pour ses prises de positions extrêmes et généreuses, ses boutades et son phrasé si particulier, Godard est aujourd’hui, l’un des rares privilégiés à voir ses apparitions télé sans cesse retransmises au zapping du lendemain. Largement plus intelligentes que la moyenne, les idées du cinéaste cadrent mal avec ce qui est devenu un univers incroyablement codifié. ( Anthony Sitruk)

 

 

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